Aux antipodes de l’imaginaire purement féérique et enfantin qu’on doit notamment à Walt Disney, Peter Pan remonte sur scène, au Théâtre Kléber-Méleau, dans une adaptation signée Jean-Christophe Hembert et Loïc Varraut. L’occasion, quelques heures avant la grande première, d’en parler avec son metteur en scène. Interview.

David Trotta

Qui n’a jamais rêvé de s’enduire de poussière de fée, quitter sa chambre en volant, par la fenêtre ? De viser la deuxième étoile, puis tout droit jusqu’au matin ? De vivre avec Peter Pan des aventures magiques, de pirates, de sirènes, d’indiens. Le tout dans un monde idyllique, des tous les merveilleux possibles ? Peut-être pas James Matthew Barrie, quand on regarde de plus près l’œuvre d’origine et son légendaire personnage, remis en scène en 2023 à Renens, au TKM, par Jean-Christophe Hembert. Un roman qui raconte bien d’avantage que le compte enfantin qu’on chérit bien souvent tel le doudou qui nous a accompagné durant un temps. Mais dont, finalement, on angélise le souvenir.

Jean-Christophe Hembert, pourquoi vous être intéressé à « Peter Pan » ?

Je ne sais pas si on sait forcément les raisons pour lesquelles on se tourne vers une œuvre. A posteriori, je pense que ça répondait à des questionnements, à des angoisses personnelles. En lisant cette œuvre, je me suis dit qu’il y avait une matière théâtrale pour en faire un spectacle assez étonnant. Et surtout j’ai été frappé par la méconnaissance que nous en avons. Ce personnage est devenu un mythe. Tout le monde connaît Peter Pan, c’est même devenu un concept psychanalytique. Mais quand on regarde sa fabrication, c’est beaucoup plus complexe, beaucoup plus brut. Jamais James Barrie ne s’est assis à sa table en se disant qu’il allait créer une œuvre à la façon de Balzac ou Proust avec « À la recherche du temps perdu ».

On connaît « Peter Pan » notamment à travers les adaptations telles que celle de Walt Disney ou au cinéma avec « Hook ». Avant de vous lancer dans cette aventure, connaissiez-vous déjà bien la version originale ?

Non, je ne la connaissais pas bien. Pour monter des spectacles, j’aime aller chercher dans la littérature. Au départ, j’étais parti sur « Frankenstein ». « Frankenstein » est une très bonne idée, mais je trouve que c’est très mal dialogué. Dans le roman, la créature parle de façon très soutenue. Elle se pose et raconte sa vie. Je trouvais moins intéressant. C’est là que j’ai lu Peter Pan.

En lisant le roman, quelles différences avez-vous pu constater avec ses adaptations ?

Ce qui m’a frappé, en repartant du texte anglais, du roman de 1911, c’est la différence entre ce que je lisais et l’idée qu’on pouvait se faire de cette histoire. Notamment les traductions françaises qui, au-delà d’une simple édulcoration, frôlent parfois le révisionnisme. On coupe et on transforme entièrement des choses. Je donne souvent deux exemples marquants. Tinker Bell, ça ne veut pas dire la fée Clochette. Tinker Bell, c’est la cloche du rétameur. Ce gars qui vient dans la rue pour réparer l’émail des casseroles et des bouilloires et qui gueule pour dire aux gens de venir faire réparer les leurs. Dans le roman, elle est potelée, elle picole, elle veut coucher avec Peter Pan et elle tue Wendy. Elle n’a pratiquement que pour seule réplique : « You silly ass », que nous avons traduit par « tête de cul », mais qu’on pourrait traduire par « trou du cul ». Dans les versions françaises, ils écrivent « bougre d’âne ». Parce qu’ils ne savent pas quoi en faire. Et ils coupent des passages. Quand Mme Darling, la maman de Wendy, parle pour la première fois, elle dit qu’elle a bien fait sa liste de courses, qu’elle n’a rien oublié. Rien n’y manque, pas même un chou de Bruxelles. Et là, elle commence à dessiner des têtes d’enfants sans visages. Ça n’apparait pas dans les versions françaises. Quant au Neverland, ce n’est pas le « Pays de l’Imaginaire ». Si on a fait une dépression ou si on a pris des drogues, c’est le pays où il ne faut pas atterrir, où il ne faut pas aller et dont on ne revient jamais. Nous l’avons donc appelé le « Pays du Plus Jamais », où Wendy se rend, en prenant une poudre magique, après avoir vécu un traumatisme familial.

Peter Pan, pour moi, c’est un peu Tyler Durden pour Edward Norton dans « Fight Club »
Jean-Christophe Hembert

Lieu où il ne faut pas aller, mais endroit que l’on cherche tout de même. Dire plus jamais, c’est déjà y être allé une fois, non ?

Oui. C’est comme les drogues ou la dépression. On y va parce ce qu’on n’a pas le choix. Mais il ne faudrait pas y aller. Pour moi, le voyage au Neverland, c’est un peu un cauchemar. Celui de Wendy.

On est effectivement loin des histoires qu’on raconte à des enfants.

Parce que ce n’est pas un roman jeunesse. C’est un roman sur la jeunesse, écrit par un homme de 40 ans. James Matthew Barrie. En gros, un homme qui a quitté sa femme, avec qui il n’avait jamais consommé, qui s’achète un statut de quatrième enfant dans une famille rencontrée dans un jardin. La famille Llewelyn Davies, dont le père est vivant, contrairement à ce qui est raconté dans le film « Neverland ». Barrie leur paie les factures et passe ses journées à jouer aux pirates et aux indiens avec les enfants qui ont entre 3 et 9 ans. Et on peut dire que c’est tendancieux. C’est la situation de Michael Jackson, soyons clairs. Mais a priori, il ne se serait rien passé. À la mort des parents, Barrie est d’ailleurs devenu tuteur des enfants. Ce n’est donc pas du tout de la littérature jeunesse. Il faut vraiment s’intéresser à la vie de Barrie pour savoir où se situe le roman.

Une vie dans laquelle vous avez plongé pour en faire votre adaptation, en sortir les enjeux. Pouvez-vous nous en dire plus ?

James Matthew Barrie est né en Écosse, dans une famille assez modeste, très croyante. Ils étaient sept ou huit enfants. Leur mère était très présente, leur racontait des histoires tous les soirs. Alors qu’il a 7 ans, son grand frère, âgé de 13 ans, meurt en faisant du patin à glace sur un lac gelé. Barrie ressent, et c’est au cœur de « Peter Pan », l’irruption du tragique dans le ludique. Deuxième traumatisme : sa mère entre en sidération et oublie complètement ses enfants. À tel point que Barrie s’habillait avec les affaires de son frère pour faire croire à sa maman qu’il était revenu. Barrie a arrêté de grandir à 13 ans, à l’âge où son frère est mort. C’était donc un petit monsieur. Une fois encore, on est loin du roman jeunesse. C’est une œuvre dans laquelle un homme de 40 ans dégueule toutes ses névroses à travers un jeu très ludique. Ce qui en fait une œuvre un peu insaisissable, dans laquelle sont nés des concepts psychanalytiques. Le syndrome de Peter Pan et celui de Wendy. Il y parle des rapports avec la mère, avec le temps ainsi que des traumas de l’enfance. Mais à un moment ou tout cela n’était pas encore formalisé. Tout l’enjeu de l’adaptation et de la mise en scène consiste à ne pas fermer les sens. Prenons simplement l’exemple de Peter Pan. On entend souvent que ça ferait référence au dieu Pan. Je n’y crois pas. Comme Tinker Bell, je pense que c’est un truc d’enfant. En anglais, « pan », c’est la poêle. Ce qui donne Peter la Poêle. D’ailleurs, dans le roman, ils n’arrêtent pas de faire des jeux de mots avec des noms de pirates. Dans les jardins où ils jouaient, il y avait une stèle avec « P.P. » écrit dessus. Un des enfants s’appelait Peter et d’un coup ils ont créé le nom de Peter Pan. Quand on crée un ami imaginaire, on n’est pas en train de se dire qu’on fait un concept en référence à un dieu. On joue, en fait. Le premier objet qui parle de Peter Pan, c’est un livre de photos qu’il a faites d’eux, où Barrie légende les images. Il a plus tard fait apparaître le personnage dans une nouvelle qui s’appelle « Le Petit Oiseau blanc ». En voyant que ça marchait bien, Barrie a écrit la pièce, puis enfin le roman. Mais Barrie est aussi responsable de l’édulcoration du roman. Quinze, vingt ans plus tard, en voyant que ce personnage marchait bien, il a créé une version pour Broadway. Walt Disney est parti de ça.

Un des thèmes centraux, c’est comment on se construit et comment on avance avec des traumas. Ceux de Barrie, mais ceux des enfants Davies aussi. On entend d’ailleurs souvent que Peter Pan serait l’un de ces enfants, qui s’appelait effectivement Peter. En réalité, derrière Peter Pan se trouve surtout James Barrie.

Il l’a projeté en jouant avec les enfants. Mais c’est confus, comme un jeu d’enfant. Ils ont créé ce personnage avec qui ils jouent, sans que Barrie en ait fait une fiche. Dans le roman d’ailleurs, Peter est loin de sa version édulcorée. Il fout toujours le camp, il n’a pas de mémoire, il n’est pas sympa, il coupe les jambes des enfants qui grandissent trop au Neverland. La première fois qu’on parle de Peter, c’est Mme Darling qui dit avoir entendu des histoires sur lui. Il accompagnerait les enfants morts pour qu’ils n’aient pas peur. On parle beaucoup de lui. C’est aussi ce qui m’a amené à penser que la véritable héroïne de l’histoire est Wendy. C’est elle qui est active. Peter est une projection. On parle de lui, mais il n’est jamais là. Il est insaisissable. Wendy, c’est elle qui vit un traumatisme familial. C’est elle qui part au Neverland, qui décide d’en revenir. C’est Wendy qui vit l’aventure. Peter Pan, pour moi, c’est un peu Tyler Durden pour Edward Norton dans « Fight Club ». Peter est une projection de Wendy, personnage bloqué dans une situation. Peter est une sorte de symptôme, une porte de sortie. Quand il apparaît pour la première fois dans le texte, en français, on dit « Quand Peter Pan apparaît ». C’est joli, on l’imagine arriver par la fenêtre. En anglais, c’est « When Peter Pan Breaks Through ». C’est de l’ordre du bouton qui perce. C’est un symptôme, de l’ordre quelque chose qui déchire. Je ne dis évidemment pas que mon interprétation est la seule qu’on puisse faire. Mais pour arriver aux versions qu’on connaît, très édulcorées, il est évident qu’il faut couper des choses dans le texte.

Autre thème central, celui du rapport à la mère.

Les pirates ne savent pas ce qu’est une maman. Dans une scène, un nid à la dérive est sur le point de tomber dans une chute d’eau. Un oiseau arrive pour le sauver. Crochet dit aux pirates que c’est ça une maman. Une maman abandonnerait-elle ses œufs ? Non. Elle n’abandonne jamais ses enfants. Évidemment que Barrie parle de sa mère. Même si elle était physiquement dans la maison, elle a abandonné ses enfants. C’est le petit garçon de 7 ans qui balance ça à sa mère. Mme Darling n’arrive pas à donner de baiser, elle n’arrive pas à être mère. La seule autorité maternelle au début de l’œuvre, c’est Nana, le chien. Peter Pan arrive précisément au moment où on emmène Nana dehors et qu’on l’attache. Quand il n’y a plus cet amour maternel qui protège, c’est une porte ouverte à n’importe qui.

Peter Pan vient d’ailleurs chercher Wendy pour qu’elle devienne la maman des Garçons perdus. Tout comme les pirates voudraient qu’elle devienne la leur.

Dès lors qu’une maman se trouve au Neverland, les pirates veulent tuer les Garçons perdus pour la récupérer. Crochet se met à négocier avec Wendy pour qu’elle devienne sa maman. Quand elle refuse, il essaie de tuer les Garçons perdus. J’ai d’ailleurs dit aux acteurs qu’il fallait enlever le côté doucereux à la scène, de la phrase « Veux-tu être ma maman ? » pour en parler comme si c’était un produit illicite. « Tu veux mon kilo de cocaïne ? ». D’un coup, ça en devient quelque chose qui touche très fort. On voit des gens qui essaient de s’échanger ou de se voler une maman. Ça raconte un désespoir de ne plus avoir de maman. En ce sens, et avec les retours que je commence à recevoir, le spectacle touche les gens de manière intime. Parce qu’on est tous confrontés à cette question. Savoir d’où on vient, notre relation à nos parents, à notre mère. Ou la non relation à notre mère. Avec ce spectacle, on touche émotionnellement à quelque chose. Je le pressentais un peu. Quand je dis aux gens que je vais faire « Peter Pan », une petite lumière s’allume. On touche à quelque chose de l’ordre de son rapport à la jeunesse, à ce qu’on a fait de notre vie. Je cite souvent une phrase de Groucho Marx qui dit que dans chaque vieux, il y a un enfant qui se demande ce qui s’est passé. Je pense vraiment que ce spectacle peut toucher les gens. Pas de façon intellectuelle, mais émotionnelle et intime.

Vous le dites, c’est un profond rapport au temps qui passe. Au-delà de Peter Pan qui ne veut pas grandir, c’est aussi le Capitaine Crochet dont la plus grande crainte est de ne plus entendre le tic-tac du réveil qu’a avalé le crocodile.

Il y a un côté Lear de Shakespeare dans Crochet. Barrie était un auteur dramatique très célèbre à l’époque, même si ses pièces ne sont pas passées à la postérité. Crochet est un personnage tyrannique qui, en une seconde, se met à faire une crise d’anxiété. Souvent au sujet du temps et du crocodile qui le poursuit. Il échafaude un plan machiavélique et d’un coup il se dit qu’un jour il n’entendra plus le son du réveil. C’est un personnage très spectaculaire.

Le temps qui s’arrête, c’est aussi la mort, qui traverse toute l’œuvre. Barrie et son frère, Peter qui accompagne les enfants morts, Crochet et le crocodile.

Pourquoi Peter Pan est devenu un concept psychanalytique ? Ça pose une question de base, qui consiste à savoir quelles règles du jeu on se met dans la vie pour affronter ses traumas. Qu’ils soient particulièrement grands comme ceux de Barrie, ou qu’il s’agisse de découvrir à 5 ans qu’on va mourir, que le temps passe. Face à cela, on se fixe des règles de jeu. Barrie a refusé les règles du jeu social. Pour que ça soit supportable, ses règles consistaient à jouer aux pirates et aux indiens avec des enfants. Barrie pense que le mode d’emploi pour que le monde soit supportable consiste à jouer. On a souvent l’impression que l’œuvre parle d’une famille anglaise dans un monde normal avec des enfants qui partent dans un monde imaginaire. Non. La famille Darling vit dans un monde où la nurse est un chien, où Madame Darling dessine des têtes d’enfants sans visages sur sa liste de courses, où Monsieur Darling fait les comptes pour savoir s’il peut garder les enfants, en rapport avec le prix des maladies. Quand on sort de cette image de littérature jeunesse, la première scène est terrible, avec un père qui est un tyran émotionnel, qui détruit ses enfants.

Pourtant on voit aussi Monsieur Darling jouer avec ses enfants, non ?

Il joue avec des histoires de médicaments. C’est bizarre. C’est du chantage émotionnel terrible. Quand on lit réellement, c’est un père qui se demande devant sa fille s’il va la garder ou pas. La scène est horrible. Si on se lance dans une forme de littérature jeunesse, on se dit que c’est marrant. Alors que ça ne l’est pas. Là on est dans « Germinal », ou chez Dickens. On est dans les bas-fonds de la crasse humaine. Barrie dit clairement que les règles du jeu social que s’imposent les Darling, de plaire aux voisins, de faire attention à ce qu’ils pourraient penser, d’avoir peur d’être en retard à leur soirée, ne l’intéressent pas. Les règles du jeu du Neverland l’intéressent plus. Mais ce ne sont que des règles du jeu. Il n’y a pas un monde plus normal que l’autre.

Vous disiez que le travail d’adaptation de cette œuvre est complexe. Que vous vous êtes même perdus. C’est-à-dire ?

L’œuvre est insaisissable. Je compare à ce que j’avais fait avant, « Fracasse ». C’était une grosse masse de littérature française. On coupait à la machette dedans, mais la direction était claire. Là, aller trop dans un sens en ferme un autre que je veux laisser ouvert. Ce n’est pas à moi de dire au spectateur que telle chose, tel événement n’a qu’un seul sens. Parfois je ne savais plus où je devais aller.

Vous avez donc envisagé d’enlever Peter Pan de l’équation pour y voir plus clair. En quoi ce choix a-t-il changé la donne ?

Ça a renforcé tous les autres personnages. Tout le monde s’est comporté comme si Peter Pan était la projection d’un désir personnel. Prenons l’exemple de John, un enfant un peu anxieux. Pour lui, Peter Pan prend la forme d’un grand frère qui épaule. Je trouve que c’est un rapport juste à Peter Pan. Wendy aussi projette des choses sur lui. C’est la richesse de l’œuvre. Quand on lit vraiment, on est dans une histoire d’enfants qui jouent aux indiens et aux pirates et d’un coup, on plonge dans une scène où Wendy s’engueule avec Peter Pan. On se retrouve dans une scène de dispute conjugale dans un film de John Cassavettes. Si on lit au premier degré, on est dans « Open Night » ou « Gloria ». D’où l’importance de ne pas fermer les sens.

– Barrie ressent, et c’est au cœur de « Peter Pan », l’irruption du tragique dans le ludique.
Jean-Christophe Hembert

On entend encore souvent qu’un adulte est un enfant qui a arrêté de jouer.

Pour moi, ça fait un peu écho au métier d’acteur. Nous développions ce projet au moment où la guerre en Ukraine a éclaté. On se demandait le sens de monter un spectacle à ce moment-là. Avoir un camion rempli de décors et de costumes. Dire des phrases devant des gens. Mais le public nous dit que ça lui fait du bien de ne pas être à longueur de journée devant des chaînes d’info en continu, qu’on les fait voyager. C’est important que des gens jouent. Même si c’est parfois fragile. Monter sur scène aujourd’hui pour raconter des histoires de pirates et d’indiens, ça reste compliqué. Mais c’est nécessaire. Sinon le monde n’est pas supportable.

Pour vous, metteur en scène, diriger des acteurs adultes pour jouer des enfants, cela a-t-il représenté un défi ?

Ils ne jouent pas comme s’ils étaient des enfants. Ils jouent des situations au premier degré, aussi sérieusement que s’il s’agissait d’enfants qui jouaient. Mais ils ne jouent pas aux enfants. C’est ce qui est touchant. On a d’un coup des gens de 50, 60 ans qui jouent sérieusement aux pirates et aux indiens. On met souvent de la distance en lisant parce qu’on se dit que ce sont des histoires d’enfants. Mais quand les mots sont portés par des gens de notre âge, on se les prend vraiment dans la gueule. Quand Peter Pan dit qu’un soir il est sorti par la fenêtre pour jouer, qu’à son retour elle était fermée et que quelqu’un d’autre se trouvait dans son lit, on peut mettre une certaine distance si la phrase est dite par un enfant. Quand c’est quelqu’un de 50 ans qui le dit, qu’on sent que c’est quelque chose qui n’est pas passé chez lui, c’est costaud.

Une façon aussi de rester fidèle à l’esprit de Barrie, à l’œuvre d’origine ?

Oui. Une fois encore, c’est une histoire écrite par un homme entre 40 et 45 ans. Comme il est extrêmement présent, le fait de faire jouer le tout par des adultes fait davantage sonner l’œuvre et les enjeux. Ce n’est pas une coquetterie de mise en scène.

Malgré que l’œuvre ait été écrite au début du 20e siècle, elle dit encore quelque chose de nous aujourd’hui.

Oui, parce qu’elle a trait aux traumatismes de l’enfance, au sentiment d’abandon, aux peurs, celles qu’on découvre aussi plus tard, la mort, le temps. C’était déjà présent chez les Grecs, de la même manière qu’en 1904 ou en 2023. Ce n’est pas la technologie qui réglera ces problèmes-là.

En restant au plus près de la version d’origine de l’œuvre, bien plus sombre ou profonde que les adaptions qu’on en retient, craignez-vous que votre pièce puisse faire peur, ou rebute les enfants ?

Ce n’est pas un spectacle jeune public, mais familial. J’y tiens. Les enfants peuvent venir dès 8-10 ans, accompagnés par leurs parents. Les choses sont fabriquées pour qu’on comprenne vite que ce n’est pas le Peter Pan qu’on attend. Les enfants ne saisiront peut-être pas tous les enjeux, mais ils comprendront tout ce qui se passe.

Acteur et metteur en scène entre autres, Jean-Christophe Hembert s’est aussi largement fait connaître du grand public en tant que Karadoc de Vannes, l’un des principaux chevaliers de la Table ronde, version Alexandre Astier, dans l’énorme succès télévisuel Kaamelott. On n’a alors pas pu s’empêcher de questionner brièvement le plus fin gastronome du Royaume de Logres sur sa vision de Peter Pan.

Seigneur Karadoc, au fond, Peter Pan, Neverland, les pirates, tout le monde en train de se tuer, c’est pas un clan autonome un p’tit peu daubé du cul ? Oui, non, zbradaraldjan ?

Jean-Christophe Hembert : (rires) Je ne sais pas si j’aurais pris Peter Pan dans le clan des Semi-Croustillants. On a besoin d’avoir des gens sur qui on peut bien gueuler. Qu’on sente qu’on peut bien les dominer. Mais je ne sais pas. Peut-être. Avec son pouvoir de voler. Par contre, à celui-là, on lui aurait dit que sa technique de vol était nulle, complètement dépassée et que ça ne servait à rien.

Wendy et Peter Pan
Théâtre / Création
D’après James Matthew Barrie
Mise en scène Jean-Christophe Hembert
Adaptation Jean-Christophe Hembert & Loïc Varraut
Au Théâtre Kléber-Méleau, Renens
Du 08.11.2023 au 26.11.2023
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