UNE FABLE POUR LE PREMIER ROMAN DE DAVID DUCHOVNY

Pour son premier roman Oh la vache!, l’acteur David Duchovny a décidé de parler surconsommation animale et condition de l’homme contemporain. Résultat intéressant, malgré un style qui reste parfois brouillon.

David Trotta

On connaissait David Duchovny. D’ailleurs, on le connaissait plutôt bien. En tant qu’agent du FBI Fox Mulder dans The X-Files, et comme écrivain rock’n’roll dans Californication. Peut-être que certains cinéphiles se souviendront aussi que Duchovny avait déjà campé le rôle de conteur d’histoires en 1993 dans le film Kalifornia, aux côtés de Brad Pitt et Juliette Lewis notamment.

Aujourd’hui, l’acteur a décidé de passer le cap, et de se mettre réellement au stylo pour accoucher d’un premier roman. Pour l’occasion, David Duchovny a décidé d’aborder un thème qui le touche personnellement: la surconsommation animale.

Décor
L’histoire, une fable précisément, commence avec Elsie Q Bovary, une vache qui vit depuis toujours dans une ferme des Etats-Unis. Avec son amie Mallory, les deux adolescentes ont un quotidien paisible, quoique répétitif. Un soir qu’elles réussissent à sortir de leur enclos pour aller furtivement aborder les jeunes taureaux, leur vie va brusquement changer.

Elsie Q, un peu lassée par le comportement de Mallory, décide de s’écarter. Elle s’approche de la maison où vivent ses maîtres les humains. Par la fenêtre, elle les voit devant la télévision en train de regarder une émission sur l’industrie agroalimentaire, et l’élevage intensif d’animaux, de vaches plus particulièrement. Dès lors, elle perd foi en l’humain. Son quotidien devient de plus en plus pénible. D’autant qu’elle sait n’être bonne qu’à finir dans une assiette. Au cours de l’une de ses visites vers la ferme des humains, Elsie Q découvre un pays qui vénère les vaches. Un pays où elle serait une divinité, et où personne ne chercherait à la changer en steak haché. C’est décidé, elle s’en ira en Inde.

D’autres apprendront les plans de fuite échafaudés par Elsie. Principalement Jerry le cochon récemment converti au judaïsme, qui décide de se rendre en Israël puisqu’il y est formellement de manger de la viande porcine, et Tom le dindon (turkey en anglais) qui voit logiquement dans la Turquie le symbole de la vie éternelle. La compagnie enfin formée, la mission de survie démarre.

Des animaux et des hommes

Alors qu’on errait en ville, avec l’asphalte qui commençait à m’irriter la plante des sabots, on a aperçu un type en tablier sortir par la porte du fond d’un bar et se diriger vers une poubelle dans l’allée crasseuse, balancer ce qui nous a paru pas mal de bons trucs à manger, balancer tout, juste comme ça. Genre une semaine de bouffe.
Elsie Q, p.112.

La fable se construit au gré des mésaventures des trois compères d’infortune. A commencer par la découverte de la condition animale, et donc de la surconsommation de viande dans le monde contemporain. David Duchovny, qui s’est souvent défini comme végétarien, n’hésite pas à multiplier les séquences moralisatrices pour dépeindre l’industrie agroalimentaire et le comportement particulier de l’homme face aux animaux. Tout y passe: élevage en batterie, cruauté, gaspillage, paradoxes culturels, etc.

L’auteur choisit de pousser plus loin son coup de gueule, et donc de dévoiler son regard sur le monde, en introduisant d’autres thématiques. Entre autres le narcissisme à l’ère numérique. Selfie par ci, selfie par là. Les modes de vies occidentaux; la famille de fermiers passe le plus clair de son temps à manger des choses qui « croustillent dans des sachets », boire une « eau colorée à bulles dans d’énormes gobelets », le tout étant prostrée devant le « Dieu de la Boîte », qui montre des images, qui parle, qui fascine et abrutit à la fois. Mais aussi la tendance humaine à construire des murs un peu partout pour mieux se séparer, entre Israël et Palestine, entre les Etats-Unis et le Mexique, au milieu de Berlin et en Chine.

Sans quatrième mur
Côté style, Duchovny choisit d’abolir le quatrième mur. Celui qui, au théâtre ou au cinéma, sépare virtuellement le spectateur de la scène. A de très nombreuses reprises, au travers du narrateur, l’auteur s’adresse directement au lecteur. Un choix plutôt audacieux puisqu’assez rare. Mais le style, celui de l’écriture même, est peut-être aussi ce qui pose le plus grand problème dans cette fable déjantée.

Oh la vache! s’ouvre sur l’explication des aventures à venir par la narratrice, Elsie Q donc, à la manière d’un journal intime d’adolescente. Le langage est contemporain, parlé, même trop. Dommage, puisque quand l’auteur rentre dans le vif du sujet, l’écriture est fluide et le lecteur se laisse embarquer. Impact certainement de la volonté première de Duchovny, qui voulait créer une histoire à destination des petits, et la faire vivre sur grand écran. Sauf que les pontes de l’animation ont refusé le projet, et que Duchovny a dû se résoudre à écrire lui-même l’histoire.

Dommage donc de se trouver au final devant un contraste flagrant d’écriture. La copie aurait été beaucoup plus cohérente, et meilleure, si les parties en off, les divagations d’Elsie Q, avaient été rédigées de la même manière que l’action principale. Et en éliminant plus de la moitié des jeux de mots animaliers qui, s’ils font sourire au début, finissent par agacer. D’autant que, en refermant le livre, court et franchement intéressant, on a de la peine à se dire qu’il s’agit là d’une comptine pour enfants.

« Oh la vache! » David Duchovny Editions Grasset

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