Senteur scones sur fond de pisse : les Docks façon anglo-Saxon

Saxon © Les Docks 2022 – Davide Gostoli

NWOBHM ! WTF ?! En gros : Diamond Head et Saxon. Mais aussi Tesla, cigarette électronique, Caco et manque de réalisme. Le tout aux Docks, dimanche 23 octobre.

David Trotta

Il est de ces concerts où, clairement, on n’attend rien. De la musique, quelques chopes et c’est marre. En somme : une soirée plutôt agréable. Souvent. Certaines se révèlent solides et surprenantes, comme lors de la venue de Halestorm en 2018. Une claque énormissime. D’autres plus pesantes, comme Jack Savoretti en 2017, où on préférera l’artiste d’ouverture (Gizmo Varillas) à la tête d’affiche.

Toujours aux Docks, dimanche 23 octobre 2022, c’était précisément l’une de ces soirées qui s’annonçait. Où on n’attend rien. Si ce n’est quelques chopines, histoire de profiter d’une soirée anniversaire et d’arroser le 35e automne. Le tout sponsorisé par la Caco Entertainment Factory. Côté ambiance, deux gros de la New Wave of British Heavy Metal (NWOBHM), ces groupes qui ont donné un souffle nouveau et salvateur au rock, dans ses mouvances vers des formes plus dures, dans les années 1970 : Diamond Head et Saxon.

« Tu la connais c’t’équipe ? C’est pas des branleurs ! »

C’est pas des branleurs : tout est relatif. Surtout quand l’épitaphe vient d’un gus, en fin de soirée, qui vous fixe droit dans les yeux, jeans clairs bien trop serrés, assortis à un gilet en jeans de le même teinte, le tout surmonté d’une sublime coupe mulet que jamais on aurait imaginé revoir. À part, bien évidemment, en profitant d’un vieil épisode de McGyver, ou en ressortant un vieil album photo de famille (désolé Stef) avec des images épiques labellisées début des années 1990.

Il n’empêche, en poussant plus loin le raisonnement, le type, clairement quinqua avancé (éthyliquement parlant aussi), n’a pas tort. Qu’il s’agisse de Diamond Head et surtout de Saxon, tout aura été mis en œuvre pour envoyer du gros son et clore une semaine avec une peu d’étiquette. En clair : de la pluie dehors, de la bière à foison dedans et des riffs taillés dans la roche. Certes vieillot, Diamond Head, se présente aux Docks de façon un peu nostalgique. Ils en sont probablement conscients : rares sont ceux parmi la jeune génération à vraiment connaître leur nom. Malgré qu’ils soient aujourd’hui encore cités parmi les références et influences de groupes parmi lesquels Metallica. Navré pour le peu.

La bonne surprise, ce sera surtout Saxon. Avec toute l’élégance et les révérences britanniques capées rock, of course. Un combo qui arrive en bloc, hormis la batterie, surélevée, entourée d’un mur de Marshalls, façon vigie sur un chemin de ronde, qui donnera le rythme tout au long du show. Avec une double pédale et 18’000 éléments, histoire d’en foutre plein la vue.

Le reste des musiciens, eux, donneront à voir le meilleur de la New Wave (of British Heavy Metal) : une ligne de front unie, forte et puissante. Composée d’un chanteur plutôt lyrique (Biff Byford), vêtu façon Lord qui aime manger un scone à l’heure du tea time ; un bassiste (Nibbs Carter) mi-derviche tourneur, mi-prof de headbang mais plus tout jeune (même la chanteuse et chroniqueuse Forma, dans sa story Insta, soulignera le jeu de tête). Enfin deux guitaristes (Paul Quinn et Doug Scarratt), typés années 1980. À savoir un mélange entre riffs imitation tronçonneuse et relents mélodiques. Le tout sublimé par un duo de solistes, classique pour le genre, où chacun apporte sa pierre à l’édifice, tout en délivrant des performances complètes et complexes : la gamme comprenant systématiquement legato, vibrato, harmoniques artificielles, staccato, bends. Sans compter, naturellement, lots de hammer/pull-off. Rien compris ? En gros, de grosses brutes et de gros techniciens, mais au service de la cause, qui s’affiche le plus souvent à quatre, en formation de combat. Même celui tout à droite de la scène, qu’on pourrait confondre avec un changeur de pneus. Ou avec Bob Hoskins, en 1993, dans Super Mario Bros.*

« Tu t’asseyes pour faire pipi ?! »

 En somme, une soirée plutôt chouette du côté des Docks. Qui aura clairement apprécié l’échange de politesses façon anglo-Saxon. Avec une touche, pour ne pas dire une flaque, résolument macho-rock-eighties : un public largement composé de vieux roublards, souvent proches de la soixantaine, encore cheveux longs, vêtus soit jeans, soit cuir noir. Cliché motard, que l’embonpoint empêche d’affronter la réalité, surtout à l’urinoir. Rarement, faut-il avouer, le sol des toilettes aura à ce point été maculé. Ça parle fort, mais ça ne pisse plus franchement loin, ne peut-on s’empêcher de penser. Encore moins quand deux gaillards, histoire d’essayer d’impressionner la galerie, échangent un lot consternant de stupidités. Au moins, l’un d’eux aura eu la décence de parler à travers la paroi de sa cabine, quand son comparse, au pissoir et les parties dans sa main, s’étonne de constater que son cacamarade s’est résolu à préférer la position assise. La prostate, à partir de 50 ans, mieux vaut contrôler, messieurs.

Et ce ne sont pas les échanges hors salle qui viendront mettre à mal les nombreux clichés qui font du vieux rock et du vieux metal ce truc appartenant tant à la nouvelle génération, sous forme de patrimoine historique, qu’au vieux tonton Dédé qui a choisi de rester bien lourd toute sa vie. Le temps d’une clope roulée, et à défaut d’Indian, de Harley ou de Triumph, ça parle Tesla et cigarette électronique. Pour, bien évidemment, rire grassement et à gorge déployée, le tout agrémenté d’un accent genevois ou vaudois plutôt très prononcé. En relevant ici l’ironie des nombreuses paires de Skechers. Ces chaussures à mémoire de forme, limite pantoufles, qui, depuis les premiers lumbagos, ont gaillardement remplacé boots et autres types de rangers.

Bref. C’est aussi cela, la beauté d’un concert duquel on n’attend pas grand-chose. Apprécier le moment, les performances scéniques (elles furent intéressantes et sincères), ainsi que les à-côté. Certains dont on se passerait. Honnêtement. D’autres qui contribuent à maintenir un semblant de véracité au sujet d’une époque, certes révolue, qu’on ne peut se résoudre à complètement effacer ou renier.


*Vous l’ignoriez peut-être, mais le plus célèbre des plombiers de jeux vidéo s’est aussi très tristement illustré dans un très mauvais film au cours des années 1990. La preuve en images :

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