Les fêtes de fin d’année sont désormais derrière. Restent encore quelques jours pour profiter d’un peu de calme avant de se lancer à corps perdu dans 2020. L’occasion pour beaucoup de faire meilleure connaissance avec son canapé, télécommande dans la main. Quitte à mieux connaître aussi son poste et le florilège de chaînes dont on ignore souvent l’existence. Ou de redécouvrir ce qu’on connaissait déjà sans y prêter grande attention.

C’est par exemple le cas pour Kerrang !, prolongation télévisuelle du magazine spécialisé rock, qui diffuse à longueur de journée autant de clips qui ont fait l’âge d’or du genre. Jeudi 2 décembre en début d’après-midi, l’heure est aux hymnes. Comme presque tous les jours semble-t-il. Au menu donc : Kid Rock, White Stripes, Biffy Clyro, Eagles of Death Metal, Nirvana, Metallica, Guns N’ Roses, Faith No More, Red Hot Chili Peppers, Def Leppard et tant d’autres.

Arrêtez les conneries, bordel !

Parmi la kyrielle de rock stars s’est aussi invité l’un des papes du shock rock, l’androgyne Marilyn Manson. Révélé à la fin des années 90, Manson a rouvert une brèche dans le rock, celle de la contestation. Anti-conforme et anticonformiste, l’artiste a depuis ses débuts suscité les passions, notamment la peur et l’incompréhension. Rentré dans le paysage culturel depuis, Manson passe aussi bien en radio qu’à la télé. Presque complètement.

Sur Kerrang !, c’est le classique Fight Song que la chaîne a choisi de diffuser. Le clip démarre, avec un Manson dans toute sa déchéante splendeur. Mais quelques paroles manquent. Une en particulier, récurrente. Lorsque Marilyn Manson, au cours de son refrain, hurle n’être ni un esclave d’un dieu qui n’existe pas, ni d’un monde qui n’en a rien à foutre.

La télé anglo-saxonne n’est pas la seule à pratiquer cette forme de censure. Les Américains aussi aiment lécher les productions musicales. Qu’elles ne pervertissent surtout pas les enfants. Que personne n’entende un « merde », un « putain » ou un « foutre ». Même constat du côté du web, YouTube en premier lieu.

Il n’est pas question de laisser libre cours à un flot incontrôlé de vulgarité. Mais de constater une indécence folle. À quoi sert d’interdire quelques « gros mots », alors que la parole est complètement libérée pour nombre de décideurs dont la portée des mots s’avère bien plus concrète, voire dangereuse, que quelques chansons contestataires ?

Pourquoi interdire à Manson de dire merde au système à travers une œuvre culturelle, et laisser un vieil homme en robe blanche essayer de faire la morale à ses fidèles sans évoquer les atrocités bien réelles commises au sein de sa propre congrégation ? Pourquoi interdire à un rappeur tel qu’Eminem de lâcher un sacrosaint putain, et ne pas s’offusquer des hommes et des femmes, au sein de nombreux parlements et gouvernements, s’écharper sur la meilleure manière d’éviter la coûteuse question climatique ? Pourquoi s’arranger pour que Radiohead change un mot du pré-refrain de Creep afin que celui-ci sonne mieux aux oreilles fragiles de celles et ceux se rendant, propres sur eux, sur des plateaux de télévision en vue de littéralement chier sur la différence humaine et parfois la misère de l’autre ?

Ne serait-il pas peut-être temps d’arrêter les conneries, putain de merde ?

David Trotta | Jeudi 2 janvier 2020

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