
Avec L’Arche de Rantanplan, le dernier-né de la série « Lucky Luke » retrace les premières heures de la protection animale dans l’Ouest dit sauvage. Un univers qui pourrait sembler particulièrement lointain, aux relents toutefois très actuels.
Finies les plumes animales collées sur le goudron dont on enduit les pieds tendres ? Pas vraiment. Mais L’Arche de Rantanplan, dernier album de la saga « Lucky Luke » ouvre la voie. Non que l’aventure dénonce une pratique barbare d’un autre temps, mais surtout pour installer son décor : les prémices de la protection des animaux aux États-Unis, au cours du XIXe siècle. Et plus encore dans l’Ouest sauvage.
Sauvage ? C’est précisément ce que donne à réfléchir cette nouvelle aventure. On y retrouve bien cow-boys, Indiens et autres piliers de saloon. Mais cette fois-ci, l’intrigue rappelle étrangement nos bonnes vieilles villes estampillées 2022 et un sujet actuel hautement émotionnel. L’intrigue : alors que Lucky Luke se rend à Cattle Gultch pour convoyer un troupeau, il doit rapidement venir au secours d’un certain Ovide Byrde, sur le point d’être pendu. Son « méfait » : avoir rendu sa liberté à un cheval maltraité par son propriétaire.
Soudainement devenu riche, grâce à une mystérieuse intervention de Rantanplan, Byrde, président (et membre unique) de la première société de protection des animaux du comté, décide alors d’agrandir son refuge. Ainsi que de mettre sa fortune au service de ses convictions, en vue aussi de faire évoluer les mentalités des habitantes et habitants de Cattle Gultch. Une notoriété nouvelle qui ne tarde pas à attirer quelques pistoleros.
Le bon, l’abrupt antispéciste et le truand
Avec L’Arche de Rantanplan, malgré un décorum propre au Far West, Lucky Luke nous parle surtout et en premier lieu de visions du monde bien contemporaines. La fracture entre clans aux valeurs radicalement opposées, dans des sociétés profondément carnées. Entre d’un côté une sorte d’idéaliste, un peu rêveur, qui mesure peu la portée de changements même mineurs pour toute une catégorie professionnelle notamment. De l’autre : un lot incalculable de réfractaires à quelconque réflexion, sous couvert de liberté individuelle. Un végétarien-militant, engagé corps et âme en faveur de la protection animale face au plus virulent des viandards, forcément, le dialogue peine à s’installer.
Avec beaucoup d’intelligence, les auteurs, Achdé et Jul, dépeignent une réalité globale, polluée par la mesquinerie de celles et ceux qui, peu importe le contexte, trouvent une manière de tirer profit de chaque situation. Ici avec Tacos Cornseed, fraîchement sorti de prison, qui conseillera insidieusement le naïf Ovide Byrde. Sorte de lobbyiste à la vocation étrangement subite, venant murmurer à l’oreille d’un protecteur de chevaux. Ou comment, dans un moment charnière, certains, au lieu de réunir toutes les parties autour d’une table, réussissent, pour quelques dollars à se mettre dans la poche en plus, à envenimer tout débat. Une aventure qui demandera comme toujours les qualités de diplomate de Lucky Luke pour remettre un peu de raison et d’ordre dans les esprits particulièrement échaudés. Le bon, entre l’abrupt antispéciste et le truand.
Une histoire merveilleusement narrée, qui ne cesse de capter l’attention au fil du récit, malgré un scepticisme initial. Et la mauvaise idée d’ajouter un grain de Covid au Far West. Comme si un variant avait spécifiquement frappé les acteurs de la culture, dont de nombreux représentants semblent se sentir obligés de venir entacher leurs créations.


