Un album d’enregistrements inédits prouve une fois encore le génie de Jeff Buckley.
David Trotta
De son vivant, Jeff Buckley n’aura eu le temps de mettre en boîte qu’un seul album. Décédé à l’âge de 30 ans d’une noyade en 1997, l’Américain s’est surtout fait connaître pour sa reprise de Hallelujah de Leonard Cohen, parue en 1994 sur Grace. Ce classique montrait un artiste complet, au jeu de guitare parfait et à la voix divine.
Bien heureusement, depuis, plusieurs parutions posthumes sont parvenues jusqu’aux oreilles du public. Comme You and I, sorti mi-mars. Si l’album est en réalité une compilation d’enregistrements de reprises, il a le mérite de montrer tout le talent de Buckley. Talent de guitariste tout autant que talent de vocaliste.
Au total, dix pistes issues d’une session new-yorkaise de 1993 égrainent un répertoire aussi éclaté qu’intéressant. Car tout y passe: Bob Dylan, Sly & the Family Stone, Led Zeppelin ou encore The Smiths. Et son génie, Buckley, à peine 26 ans lors des enregistrements, s’accompagnant de sa seule Fender Telecaster en son clean, le souligne en réussissant à s’approprier chacune des pistes. Au final, plus de funk, plus de rock, plus de folk, plus de blues, mais un univers homogène tenu de main de maître du début à la fin par Jeff Buckley.
Un morceau en particulier sort toutefois du lot. Déjà que le tout séduit, Buckley réussit la prouesse de sublimer une chanson sur laquelle de nombreux artistes se sont cassés les dents et les cordes vocales, Calling You, le titre phare de la bande originale du film Bagdag Café sorti en 1987.
Quelques notes. Très simplement. Buckley recherche le son juste pour sa Telecaster. A plusieurs reprises, il change de micro et finit par s’arrêter côté chevalet. Donc plus clair, et plus aigu. La bonne formule trouvée, l’artiste lance sa voix. Quelque chose d’unique, de fragile et de puissant à la fois, à mi-chemin entre Robert Plant et Michael Jackson. Puis viennent des moments magiques. Ceux durant lesquels Jeff Buckley s’attaque au mythique refrain. Qu’il transcende, faut-il préciser. Plus particulièrement le deuxième, qu’il décide de chanter tout en douceur.
Tous les ingrédients sont réunis pour une catastrophe auditive. Sauf que Buckley n’a pas assis sa réputation en un seul album pour rien. Même en douceur, en fragilité, là-même où l’on se dit qu’il s’effondrera sur la rampe, la voix ne tremble pas, si ce n’est par un magnifique vibrato tout en subtilité.
Cerise sur la gâteau, au troisième refrain. Alors que la plupart des artistes qui ont eu l’audace de reprendre Calling You, déjà une performance en soi, ont préféré se contenter de coller au plus près de l’original, Buckley, lui, y rajoute des fioritures.
Bref, un véritable joyau à écouter sans modération.