Mieux que le Système D, le Seasick Steve

Interdits de photo en dernière minute, comme tous les photographes prévus pour cette soirée, nous devons malheureusement nous contenter de cette esquisse. Comme nous n’avons jamais su dessiner, et puisque nous avons maintenu les mêmes compétences dans ce domaine que lorsque nous avions environ 4 ans, nous avons pris le parti d’indiquer par une flèche et en mots ce que ce « dessin » est censé représenter. David Trotta © PLANS CULTES

Deux vieux pour faire bouger Lausanne. Rien de plus. Rien de moins. Si ce n’est un capricieux à qui, un très bon concert plus tard, on pardonnera (un peu) la lubie. Critique.

David Trotta

Avez-vous déjà essayé de parler à votre grand-père quand celui-ci a décidé de s’imposer en chef de famille ? En patriarche à deux balles, mal sapé, tête de mule à qui personne ne réussit à faire entendre raison ? Bref, d’être là à écouter un vieux con ? Si oui, comme la plupart des humains et dérivés d’animaux peuplant cette terre depuis les dinos déjà, vous devriez prêter une oreille du côté de Seasick Steve.

Qui qui Steve ? Seasick ! Le rapport avec votre grand-père ? Aucun. Si ce n’est que l’artiste, présent aux Docks ce lundi, pour un concert initialement prévu courant 2020, a décidé d’interdire les photographes, bien qu’accrédités (dont nous, on ne se serait pas permis la parabole sinon), quelques jours avant la tenue du show. Donc oui, vous venez potentiellement de vous farcir deux paragraphes juste parce qu’on n’est pas hyper jouasse, pour paraphraser certains seigneurs bretons. Et pour tout dire, on n’est pas vraiment désolés.

Le reste. Le plus important. Un concert franchement bon. Sans artifices. Deux vieux aux barbes longues. Seasick à la guitare et à la voix, son lieutenant Dan à la batterie. Une scénographie plutôt minimaliste : un plateau aménagé pour que les deux musiciens soient pratiquement côte à côte. Seasick Steve, qui doit son nom au fait d’être malade en mer, assis sur une vieille chaise en bois, agrémentée d’un vieux coussin. Les deux entourés d’une guirlande lumineuse. Ambiance bal de campagne, quasi redneck.

Mais pas les campagnes actuelles. Celles qui fleurent bon les States d’un autre temps. Sonorités sudistes. Contrairement aux nordistes, ouestistes et estistes. Bref, le blues, la soul. Tout est pensé pour proposer une musique unique, sincère. Pour qu’on s’en paie tous une bonne tranche. Côté look, Seasick Steve et Dan n’ont pas lésiné. Jeans rapiécés, t-shirt sombre, boots, casquette et chemise rouge à carreaux pour Steve, bas de training Adidas noir, Nike rouges aux pieds et aussi chemise à carreaux et casquette pour Dan. « Un mec de 90 ans qui veut en paraître 71 », entend-on juste derrière nous. Au demeurant, côté Seasick Steve, on ne sait pas vraiment son âge. Une recherche Wikipédia plus tard, il serait né à Oakland soit en 1947 selon la page francophone, soit le 19 mars 1951 selon la page anglophone.

Outre le décorum, qui prête à l’ambiance festive et familiale, pas de celles type pogo à la Motörhead qui valait à Marco de perdre son porte-monnaie du côté de Nyon voilà quelques années, l’attitude aussi est calibrée pour proposer aux Docks un moment de détente. Si Dan est à l’eau, Seasick Steve, lui, sirote du Jack directement au goulot. Quand il ne présente pas ses créations. Les guitares qu’il a lui-même façonnées. Une à partir d’une vieille planche à laver, agrémentée d’un manche de banjo, construite avec une seule corde. « Je ne savais pas comment en jouer. Je l’ai branchée sur un ampli, ça a fait exploser toutes les vitres de la maison. Je me suis dit qu’il ne fallait pas mettre plus de cordes », narre malicieusement Steve. Ou quand il s’approche de la foule pour présenter son cigar box, un cordophone primitif, à quatre cordes cette fois-ci, réalisé à partir d’une plaque minéralogique. « Mississippi prison made », précise l’artiste. Et de régaler le public avec un jeu unique, boggie-rock-blues, propre et cher à Seasick Steve. Avec aussi des titres inédits, à paraître en septembre, uniquement en vinyle, directement chez les disquaires. « Pas sur Spotify, pas sur les téléphones ou autres merdes », lance encore le musicien. Un « suicide commercial », dit-il, qui colle de la plus belle des manières au Système D que cultive Seasick Steve. Et qui lui réussit mieux qu’à quiconque.

Une soirée simplement belle, sans questionnements ni concessions, format « je m’en carre le cul, je fais ce que je veux », sur fond de dérivé blues distorsionné magistralement délivré. Le temps d’un show drôle, honnête, malicieux et généreux à la fois. Un type qui s’en tape, visiblement. Qui aime le dire. Beaucoup. Qui en joue surtout, beaucoup. Mais pas trop. Histoire d’amuser la galerie, qui en aura pris plein les oreilles.  

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